27 décembre 2009
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Maman qui a trouvé que la visite du rabbin n'était pas sans raison demanda tout a coup.
-- Mon fils était an classe ? En entendant cette question que je ne voulais pas ouïr, j'ai senti d'un seul coup mon coeur défaillir.
A l'âge de deux ans maman m'emmena à l'école rabbinique (le koutab) de Rabbi Isaac surnommé Bekhor (l'aîmé) parce qu'il était le plus âgé de ses frères. Après deux mots échangés avec moi, je rentrai dans un mutisme qui me valut de reporter a l'âge de cinq ans, le début de mes études judaïques.
Ainsi en même temps que la maternelle, je commençai à prendre des cours chez Rabbi Isaac. J'adorai ce rabbin. Il était si gentil avec nous que ce fut un plaisir d'être son élève. J'avançai bien, et il était satisfait de mes progrès.
La renommée du rabbin lui emmena des nouveaux élèves du quartier de Moulinville. Le nombre des écoliers le poussa à ouvrir une deuxième classe. Pendant les vacances scolaires, nous étions au koutab toute la journée, ce qui libérait nos parents du devoir de nous occuper et ils pouvaient se consacrer aux taches journalières.
Rabbi Isaac tenait aussi une bijouterie, le salaire d'instituteur rabbinique n'étant pas fructueux. C'est alors qu'il prit un associé, Rabbi Khamous le rouquin. Rabbi Khamous tenait les deux classes pendant l'absence de Rabbi Bekhor qui sortait pour effectuer son second métier. La tactique de Rabbi Khamous était simple : Il nous assemblait et nous racontait une histoire, une légende, un conte ou une aventure. Comme il avait un don inné de conteur, il nous tenait en haleine pendant une heure
L'après-midi c'était Rabbi Khamous qui sortait pour exercer sa profession secondaire, égorgeur de poules et de moutons et il était demandé de partout. C'est alors que Rabbi Isaac le suppléait : il nommait des surveillants parmi les anciens qui se faisaient un plaisir de servir de moniteurs. On se plaisait si bien dans cet institut, que la recréation de midi pour le repas et la sieste nous semblait trop longue.
Plus tard, ces deux rabbins se retirèrent de l'instruction et laissèrent la place à Rabbi Abraham. Ce dernier était habillé d'un éternel manteau de mode écossaise, très voyant avec ses couleurs vives rouge et noire, ce qui était rare à l'époque.
Ses méthodes pédagogiques rappelaient celles des instituteurs du Moyen-âge, en plus sévère. Son bouc émissaire était Lalou (Bismuth, je crois) qui recevait des coups à longueur de journée. Son arme favorite était un mouchoir noué au bout. Celui qui se trompait recevait un violent coup de noeud de mouchoir sur la main. La punition extrême était la falouka : l'élève puni était lié, les deux chevilles ensemble et il recevait sur la plante des pieds des coups de baguette, dont le nombre variait selon la gravité du délit. Mais cette punition était en mesure dans des cas rares.
Je fus puni moi-même, pour la bonne raison que mon petit frère Simon est tombé du banc ou il était assis. Rabbi Abraham n'a pas voulu entendre ce que j'avais à dire pour ma défense : je n'étais pas sur les lieux, étant sorti sur son ordre afin d'appeler la mère d'un enfant turbulent.
Ce n'est pas étonnant qu'un jour j'aie raté (on disait chtrâter l'école, rater avec intention) le cours. J'ai tourné toute la matinée, pour revenir à la maison à midi. De même l'après-midi, et de même le lendemain.
Le soir du lendemain, je vis avec effroi le manteau bariolé du rabbin dans le quartier.
Peu de temps après, Rabbi Abraham fit son entrée chez nous. Je tremblai de peur. Mais le rabbin ne fit aucune allusion à mon absence et je lui en fus gré. Il s'assit, demanda un café à maman, une cigarette à papa et il ouvrit un livre et se mit en devoir de me faire des répétitions.
-- Mireille, ton fils fait des grands progrès, depuis qu'il est chez moi. C'est un plaisir de l'instruire.
Des progrès, pensai-je ? De quels progrès parle-t-il ? Sottises, oui. Depuis que Rabbi Isaac et Rabbi Khamous sont partis, j'ai perdu de mon assurance, et j'ai commencé à m'embrouiller, et à bafouiller dans la lecture des Lettres Saintes. Maman qui a trouvé que la visite du Rabbin n'était pas sans raison demanda tout a coup -, et j'ai senti mon coeur défaillir :
-- Mon fils était en classe ?
-- Quand ? Aujourd'hui ou hier demanda le sournois ?
-- Hier et aujourd'hui, demanda maman. Les oreilles de papa se dressèrent, les miennes rougirent. J'aurai voulu que le sol se dérobât sous moi, disparaitre...
-- Je ne mentirai pas. Mais à condition que vous ne touchiez pas ce pauvre gosse répondit le sadique Ni hier matin, ni hier après-midi, ni ce matin, ni...
Il ne pouvait me faire un rabais. Pourquoi cette méchanceté ? Je fus puni sur le champs, mais je ne rapporterai pas très longtemps... ni la punition ni ma rancoeur.
Mais j'ai compris pourquoi Freddy ne l'aimait pas ce rabbin si sévère.
Pourtant la chance sourit à Rabbi Abraham. Quand sa fille aîmée se maria, il lui acheta comme cadeau de noce un dixième billet de la oterie nationale. Et devinez qui a gagné le dixième du gros lot? Oui, la fille aînée du Rabbin. Ce rabbin si avare devint un saint que le ciel rembourse.
Et quand la cadette du rabbin se maria trois ans plus tard, devinez ce qu'il lui a offert comme cadeau de noces ? Vous donnez votre langue au chat ? Eh bien ! Elle a reçu comme dote un dixième de billet de la loterie nationale. Et vous savez qui a gagne le gros lot ? C'est... la cadette du rabbin.
Alors si quelqu'un me dit que Rabbi Abraham n'avait une ligne directe avec la chance, alors il aura tort.