Ilan Halimi, le procès de la lâcheté en appel, Rachel Franco
Le verdict du procès des assassins d’Ilan a été rendu.
Et les questions demeurent.
Et le choc reste entier.
Je me suis plongée dans cette terrible affaire pour tenter de comprendre ce qui se jouait là, pour tenter de
repérer par quels stratagèmes, l’odieux réussit le pari de la banalisation et de quoi vient nous parler à la fois l’appel interjeté par le Ministère Public contre le verdict de ce procès,
et les réactions inquiètes des deux principaux syndicats de magistrats (l’Union syndicale de la magistrature - USM, majoritaire, et le Syndicat de la magistrature – gauche).
Oui, les questions demeurent et le choc reste entier.
Ilan, torturé et assassiné, que nous reste t-il ?
Que viennent nous signifier, en profondeur, le caractère antisémite de l’enlèvement d’Ilan et son
assassinat ? Qu’est ce que ce désir de taire vient hurler à notre conscience ?
On a soutenu qu’il s’agissait d’un assassinat crapuleux mais non raciste, et que le mobile a été uniquement, ou
essentiellement, l’appât du gain.
On a soutenu que les juifs voulaient "profiter" de ce crime parce qu’ils ramènent toujours tout à eux ; et
j’ai lu les réactions les plus antisémites qui soient, là où la compassion et une main tendue eussent été de mise.
Les préjugés antisémites qui ont prévalu dans le choix de la victime n’ont été niés par personne.
Mais, tente-t-on de nous faire accroire, les affirmations selon lesquelles les juifs sont, de toute manière,
solidaires entre eux et "bourrés de thunes", et donc que la communauté paierait pour sauver Ilan, n’ont aucune connotation antisémite.
Que ce jeune homme de 24 ans ait été choisi, après un repérage confirmant que le magasin fermait les jours de
fêtes juives, serait un pur hasard;
Que Fofana revendique son antisémitisme serait juste une ultime provocation.
Qu’il adresse à mon confrère, Francis Szpiner, une lettre personnelle dans laquelle il écrit "mort aux
juifs !" serait juste un délire passager.
Et j’en passe…
Suite au verdict, la consternation de la communauté juive de France et le rassemblement, Place Vendôme, en
mémoire d’Ilan, est-il venu crier vengeance ou demander justice, et justice de quoi et pour qui ?
J’ai regardé la vidéo de ces femmes et de ces hommes juifs qui ont chanté la Marseillaise, et ont manifesté en
hissant bien haut les drapeaux de la France ainsi que des portraits d’Ilan. Je n’ai pas vu là de communautarisme sectaire et réducteur, mais une profonde inquiétude, que des juifs
français ont exprimée avec dignité et retenue.
Oui, Ilan a été choisi parce qu’il était juif, et le nier, c’est un peu, me semble-t-il, le tuer une seconde
fois.
Pourquoi cette connotation antisémite semble-t-elle gêner à ce point ? Surtout, ne pas dire, ne pas déclarer,
ne pas reconnaître que la France traîne un antisémitisme latent, qui rampe dans les banlieues de France, et qu’expriment tous les ratés sociaux qui s’y adonnent à cœur joie.
Surtout taire l’ignoble, qui se renforce, et adopter la politique de l’autruche, qui consiste à fermer les yeux
pour faire disparaître le mal !
-
Taire les agressions racistes.
-
Ne pas relever les origines ethniques de leurs auteurs.
-
Encourager les victimes à se faire discrètes.
-
Tenter, tant que faire se peut, de présenter l’image d’une France ouverte, tolérante et
fraternelle.
Mais que faire si la réalité est aux antipodes des désirs du pouvoir ?
Un nombre ahurissant de jeunes juifs ont quitté les écoles publiques françaises parce qu’ils ne s’y sentent
plus en sécurité. N’est-ce pas là une faillite de l’école de la République ? Qui le sait ? Qui l’écrit?
Se taire sur cet antisémitisme de la rue et des cités, c’est le laisser se renforcer ; et c’est cela qui
est inacceptable.
Dans ce procès qui restera dans les annales de la Justice française, reconnaître le caractère antisémite de ce
crime n’aurait pas influé sur la peine ; mais cette circonstance aggravante donne au regard que l’on pose sur la société, une profondeur utile au débat public, pour en chasser
les vieux démons.
Il a été dit et écrit que les complices, dans leur ensemble, ont perçu toutes les horreurs des tortures
infligées à Ilan comme des actes d’une grande banalité. Et les spécialistes d’exciper de cette insensibilité pour affirmer que ce procès est celui "du dérapage des enfants de banlieue,
autodidactes du crime", parce qu’en perte de leur identité propre.
Mais est-ce une raison pour diluer la responsabilité de chacun d’eux ?
Trente personnes au moins auraient pu sauver Ilan, et ces trente personnes ont opté pour la loi du silence. Un
seul appel anonyme eût pu sauver ce jeune homme, et ils s’en sont tous abstenus.
La seule personne qui, au bout de cinq jours, s’est retirée de cette histoire, en a parlé à dix autres… Aucune
n’a bougé.
Dites-moi pourquoi. Je voudrai comprendre à ce stade-là, précisément, ce qui se passe dans l’esprit de ceux qui
peuvent sauver un homme et choisissent le silence.
Oui, cette lâcheté interroge, et l’institution judiciaire doit, elle aussi, procéder à cette
introspection. Le procès d’une société civile, en faillite parce qu’elle ne sait pas appeler les choses par leur nom et qu’elle vit dans la peur de la défaite républicaine.
Si le Parquet a décidé de faire appel de ce verdict - suivant en cela les vœux de la Ministre de la
Justice, Michèle Alliot–Marie -, il l’a fait en application du droit que lui accorde la loi, lorsque l’Intérêt Public nécessite un nouvel examen d’une l’affaire.
Peut-on nier cet intérêt alors que la dimension pédagogique de ce procès est à ce point essentielle
au débat public et aux enjeux démocratiques?
Je ne vois pas là d’ingérence de l’exécutif dans le judiciaire, et il ne s’agit pas, comme on l’a prétendu, de
faire appel de toute condamnation inférieure aux réquisitions du Parquet. Il s’agit plus simplement de mettre le doigt sur ce qui fait mal, j’ai nommé : l’antisémitisme des cités et la
démission des acteurs sociaux.
Non, la vengeance ne joue ici aucun rôle. Cette démarche témoigne seulement du souci d’approfondir le débat et
de la volonté de sauver, demain peut-être, un autre Ilan des griffes de la bêtise humaine.
Rachel Franco
Avocat
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