Par Albert SIMEONI
Paris le 8/3/2005.
Tous les évènements narrés dans cette nouvelle sont imaginaires et ne peuvent constituer un plagiat d’aucune œuvre connue.
Le BILLET XI.
L’un des miliciens..
-‘…Vous avez couru les cent mètres ou vous avez vu le diable… ?’
-‘…Le diable n’est rien, nous en voyons bien plus.. !’
Pierre, tout essoufflé, lorgne sur son paquet de clopes, tout froissé. Malheureusement, il y a avait trois de paquets chiffonnés, éparpillés à deux longueurs d’orteils d’entre les chaussures diplomates des deux collabos. Il ne fait rien paraître.
-‘…Que voulez vous insinuer, Monsieur.. ?’ Lui dit l’un des miliciens en le toisant.
Le bar-man lui fait signe de ne pas répondre…Il s’avance vers lui..
-‘…Je vous sers… !’
-‘…Un café, j’ai si sommeil.. !’
-‘…Nous devrions t’embarquer, mais comme nous ne sommes pas de mauvaise humeur ce matin, on te laisse pour cette fois ci, mais faites gaffe à l’avenir !'...
Il prend sa tasse de café en main et vise une table au fond dans la salle.
Il est très préoccupé par sa bévue. Nerveux. Il lorgne sans trop insister sur ces trois paquets dont l’un contient son précieux document. Le motif de sa mission. Sans ce papier, cette preuve, Camille ne pourra jamais le croire encore moins Madame Loiseau. Sa future mission se trouverait complètement anéantie. Pourtant elle se trouve à quelques mètres de lui et à proximité des chaussures de ces collabos, ces traîtres qui sirotent leur liquide noir comme leur âme, avec désinvolture. Il ne peut se permettre aucune ruse sans attirer les soupçons de ses deux miliciens. Il s’inquiète aussi de ce que penserait cette dame s’il ne revient pas plutôt que prévu avec ce morceau de papier quadrillé, écrit par des mains tremblantes qui n’auront certainement plus l’occasion d’en écrire d’autres.
Il s’angoisse à l’idée de ne pas pouvoir établir sa bonne foi si ce papier vient à disparaître pour pouvoir démontrer ainsi qu’il n’était pas un ‘farceur’ en mal de plaisanterie au regard de cette bonne dame, qui attend depuis un quart d’heure. Il s’en veut intérieurement de voir ce message si important d’une mère envers sa petite fille, foulé, sans aucun respect pour son auteur et sa réceptionniste.
Un message d’amour destiné, de la part de toute cette famille en partance vers la mort, à leur enfant qui attend d’être sauvé quelque part. Un dernier petit courrier d’espoir.
Il sent une oppression sur sa poitrine toutes les fois qu’il voit ces pieds de miliciens se croiser, se recroiser sans arrêt et qui viennent, sans vergogne, écraser ces quelques lignes tracées sur du blanc à carreaux.
Il ressent chaque geste de ses troublions en habit noir comme des épingles qui lui percent la chair. Que peut t’il faire, sinon ruminer et refouler sa colère … ! Se lever pour relever ces trois paquets chiffonnés sans attirer leur attention… ? Dans ce cas, adieu sa liberté et celle de toute sa famille. Il ingurgite une petite gorgée de café froid et amer en attendant la suite des évènements. Il sue sur place. Il ôte son veston et rallume une clope. Comme si la situation n’était pas déjà exaspérante, paradoxalement éprouvante pour Pierre, voilà que le bar-man fait le tour de son comptoir, un balai à la main pour nettoyer son carrelage et débarrasser ainsi mégots, crachats visqueux, allumettes et bien sur paquets de cigarettes. Pour jeter le tout, une fois réunit, dans la grande poubelle y compris le sentiment d’amour écrit sur un billet. Un sentiment noble va donc, pense Pierre, sans être sauvé dans l’immédiat, côtoyer tous les détritus de gras et de mauvaises odeurs… ! Sans qu’il puisse intervenir…. ?
Il sent comme des frissons secouer ses pieds. Pierre sent son sang se glacer…Il passe du froid au chaud sans qu’il puisse contrôler son thermostat intérieur.….Il n’en croit pas ses yeux. Il voit cette scène horrible, hallucinante, ce cafetier gesticuler qui commence par balayer le bord droit du comptoir, tout en avançant avec sa ‘grosse touffe de balai’, vers le centre de la salle : il voit l’impensable. Il pense à l’impensable. Les trois paquets vides réunis avec les autres déchets de toutes sortes. Le bar-man continue son travail sous le regard des miliciens et de Pierre ; sans se préoccuper outre mesure de ce qu’il faisait : un simple geste répète quatre fois dans la journée. Quoi de plus naturel que de relever un tas, hétéroclites d’ordures amoncelées, de poubelle prête à être ramassée par une pelle en fer, tenue par une main ignorante et qui ira rejoindre sous peu, l’obscurité de la cave pour grossir d’autres déchets infectes.
Pierre en une fraction de seconde réalise ce qui va se passer.
Une idée germe dans sa tête.
Il se lève délicatement….Puis…Avec assurance...
‘…Monsieur, je voudrais tout d’abord m’excuser pour tout à l’heure et ensuite, si vous ne trouvez pas à redire, vous payer vos cafés… !’
Le ‘balayeur bar- man’ arrête sur place, ses gestes ‘assassins’.
Le même milicien…
‘…Ah… ! Vous voilà enfin, revenu à de meilleurs sentiments, bon puisque vous nous le demandez si gentiment, on accepte votre offre et d’ailleurs nous allons lever le pied, la journée s’annonce dure, pour nous… !’
Le bar-man refait le tour du comptoir, abandonnant pour un moment son balayage alors que Pierre met sa main à la poche…
Il prend la note et règle l’addition tandis que les deux corbeaux enfoncent leur chapeau dans la tête. Ils saluent par la suite le patron tandis que Pierre, une fois ces oiseaux de malheur sortis, se baisse, avec calme et gestes mesurés, pour ramasser les trois paquets vides et froissés de clopes…Sous le regard étonné du patron bar-man….. !’
-‘…Vous l’avez échappé belle, mais qu’est- ce qui vous a pris de parler ainsi… ? Tout à l’heure….. ?’
-‘…Juste une gaffe… !’
-‘…Ils vous sont précieux ces paquets vides de cigarettes… ?’
-‘…Oui….. ! Bon gardez la monnaie…. !’
Il sort tout en vérifiant leur contenu...Il est là son billet qu’il fourre précieusement dans sa poche en se débarrassant des deux autres devenus inutiles…
-‘…D ieu merci… !’
Il reprend le chemin inverse et se représente devant Madame Jeannette LOISEAU.
-‘…Pardon madame, de vous avoir fait attendre, un incident malheureux m’a obligé à être en retard, voilà de quoi il s’agit… !’ Il lui remet le petit mot.
-‘…Comment avez-vous eu cela… ?’
-‘…Je suis contrôleur des ballasts, je vous l’ai dis, et j’ai vu ce bout de papier accroché à l’interstice d’une porte de wagons à bestiaux… !’
-‘…Je suis Victoria…. !’
Pierre oublie sa mésaventure sur-le-champ ; il veut serrer la dame dans ses bras mais se ravise par respect.
-‘….Je .. ! Je … ! Je suis … ! Je ne sais que dire… !’
La dame aperçoit le trouble de ce monsieur, au beau visage carré et régulier, coiffé à la coupe à la brosse, qui baissa les yeux devant elle.
Elle continue…
A suivre…